Andrée !

Andrée

Andrée R
55 ans
Marseille

Vous pouvez voir en cliquant sur les mots en bleu les documents (photos, tracts, compte-rendus, etc...) qui accompagne chaque témoignage.

J’ai toujours habité Marseille et sa région et je suis médecin, je le dis car ça a son importance aussi dans mon investissement militant.
J’ai débarqué dans le milieu homosexuel en 93 parce que avant j’étais assez occupé par mes études et que je vivais une histoire avec une fille que j’avais rencontré au cours de mes études.
J’aimerais faire un petit rappel des années 80/90. Les années 90, c’était une époque où il n’y avait pas la visibilité qu’on a maintenant, ne serait-ce qu’à la télé, c’est important de le rappeler. Dans les feuilletons tv , on en était encore aux vieux films où généralement le personnage lesbien ou gay se suicide, se pend, ça se terminait généralement très, très mal pour lui ou pour elle, il n’y avait pas de visibilité.
Donc en 93, il y avait Taktik (journal culturel gratuit de ces années-là, et dans le supplément je tombe sur la semaine de visibilité, la semaine de la Gay Pride. Pas Lesbian et Gay Pride mais Gay Pride, il n’y avait pas de défilé, il y avait une soirée au cinéma d’art et d’essai Le Breteuil. J’arrive au Breteuil, il y avait Rosa, il y avait Kris, il y avait Geneviève Pastre et on se retrouve à aller bouffer ensuite et je me retrouve en face de Geneviève Pastre le soir même.
C’est comme ça que j’ai débarqué et on me dit qu’il y a une association qui s’appelle le CEL et on me griffonne ça sur un bout de papier. C’était à la Maison des Associations, il n’y avait pas de local. Et on me dit il y a une fête au mois de juin. Donc je me retrouve boulevard Longchamp dans un endroit qui était assez sombre, on n’y voyait pas très clair (rire) avec 300 lesbiennes : oué, chouette, génial !
Et durant tout l’été, coachée par Odile B, qui m’amène à droite, à gauche. Et je me retrouve au Collectif Gay et Lesbien. En sachant que le CEL n’était pas officiellement association lesbienne et n’est devenue association lesbienne qu’en janvier 94 en même que la création du local du CEL.
Moi j’ai vécu ça comme une espèce d’effervescence. Je me suis retrouvée d’abord au Collectif Gay et Lesbien qui avait été créé en 93 et qui était une réunion à la fois d’associations (il y avait des représentantes du CEL), d’individuels. Il y avait Odile B, Christian D, il y avait des jeunes qui s’appelaient RAS. Ils sont très importants, avec Béchir, un gamin de 21/22 ans, dont une des actions était l’organisation des Gay Pride. A l’époque, la Gay Pride, c’était comme le pâté d’alouettes : il y avait une alouette et un cheval pour la proportion des lesbiennes et des gays... c’était le pâté d’alouettes, une alouette, un cheval ! Et donc moi j’ai toujours milité pour cette visibilité car je trouvais qu’il n’y avait pas assez de visibilité lesbienne et que c’était très important qu’il y ait une participation des lesbiennes.
J’étais d’accord pour le côté féministe mais je trouvais que les mouvements lesbiens avaient un côté trop... pas assez... mixte...
Et moi j’ai dû batailler à la fois avec les copains gays pour augmenter la partie d’alouettes, pour leur faire comprendre que l’alouette soit un peu plus visible.
Et d’ailleurs j’ai là le dossier de presse : il est noté dans ce dossier de presse qu’après le mouvement est devenu collectif gay et lesbien, parce qu’il y avait des filles. Et à la fois des discutions qui étaient parfois houleuses au niveau du CEL où je suis rentrée au CA en même temps que Patricia G en février ou mars 94 pour leur faire admettre que c’était important de participer à la Gay Pride ou Lesbian and Gay Pride.
Il faut savoir que ce collectif gay et lesbien n’avait pas de local, un jour il y avait des réunions au Boulevard Voltaire, un truc de l’archevêché, je sais pas comment on s’était retrouvé là-dedans, bref... et il faut savoir que les réunions de préparation de la Gay Pride où on était une petite poignée à organiser ça se faisaient à 5 heures de l’après-midi dans la backroom du MP Bar rue Beauvau.
Parce qu’une fois, j’avais fait venir des garçons au local du CEL et j’ai cru qu’on me lynchait (rire).
Donc ce collectif gay et lesbien avait une orientation qui était à la fois festive et à la fois très politique.
Je rappelle que le CEL est devenu officiellement lesbienne qu’en janvier 94 au moment des changements de statuts (j’ai les papiers là). Mais d’emblée, le collectif gay et lesbien qui était aussi issue de mouvements post-soixante-huitards (avec le GLH, etc..) a revendiqué un côté politique à la fois avec Histoires et mémoires des sexualités mais également avec le CUCS dont le chef de file était Jean-Paul Pouliquen qu’on avait fait venir à Marseille pour un débat dès 94.
Et c’était intéressant les débats qu’il y avait sur le CUC et sur le CUCS (le futur PACS) par opposition au mariage dans l’idée post-soixante-huitarde. Il y avait un côté très politique du collectif gay et lesbien avec des courriers faits aux candidats des législatives en 95, à la présidentielle. Il y avait d’emblée ce côté très militant, très organisé avec des gens comme Christian D, Odile B, etc...
J’étais aussi au CA du CEL où j’essayais de participer : projection vidéo, soirée thé à la menthe - danse du ventre, si, si, si... Des trucs très fun mais en même temps des débats... 90, c’était aussi : je suis médecin, je travaille au niveau du VIH car on était en pleine épidémie du VIH, épidémie du Sida avec une forte mortalité avant qu’il y ait les tri-thérapies. Et le fait de voir les copains gays qui étaient décimés à 30 ans, à 25 ans, etc... et bien ça donnait un sacré aiguillon pour justement le côté CUC-CUCS, la visibilité.
Et même maintenant, je continue à travailler sur les accidents d’exposition, quand je vois comme la semaine dernière un petit gamin de 15 ans qui a pris une prise de risques à sa première relation homo non protégé et qui risque de se faire plomber et qui se tape une tri-thérapie pendant un mois, je me dis que si l’homosexualité est mieux acceptée, plus visible, mieux vécue, et bien il y aura peut-être moins de prise de risques...
Je pense que c’est hyper important le côté visibilité, je militais vraiment pour qu’il y ait cette visibilité et pour moi, ça passait par ce côté mixité. Donc ça passait par quoi : par un défilé sur la Canebière. On était une petite poignée, ça consistait à aller à la Préfecture mettre son nom. Tout le monde n’était pas d’accord pour le défilé sur la Canebière et même certains vieux militants disaient "Mais non, on va être ridicules, il va n’y avoir personne !" On n’avait pas de char, on était 400 et je me souviens des copines qui devaient aller à Paris car on avait décidé de faire le défilé le même jour qu’à Paris et les filles qui devaient aller à Paris ont dit "Non, non, y a un défilé à Marseille, on va pas à Paris, on vient défiler sur la Canebière". Je revois Agnès qui comptait les gens. On n’avait pas de chars, pas de sono, la sono c’était Belladonna !
Ça c’est un souvenir fabuleux, cette Gay-Pride 94 ! C’était un point de départ super important !
D’ailleurs, j’ai l’affiche, les photos... mais en même temps, il y avait ce côté festif suivi d’un bal. Maïté en a parlé : le côté convivial était aussi militant et l’un n’allait pas sans l’autre. On était beaucoup plus jeunes, on avait 30 ans mais il fallait avoir la santé pour faire une fête par mois ou deux car il y avait les fêtes du Collectif et celles du CEL. Ça voulait dire un côté manutention, porter des trucs, etc... se coucher à 4 heures du matin et bosser le lendemain... aller faire des réunions à droite à gauche... parfois se prendre le chou... enfin, les joies du côté associatif... Mais c’était en même temps super important !
Ensuite il y a eu cette Gay Pride 94, les premières affiches de 95 avec les mots "Lesbian & Gay Pride" organisée avec les filles du CEL, Sylvie M, Patricia G et moi et Béchir qui avait 21 ans...
Et donc cette multitude de réunions, de participations, de débats, de faire venir Jean-Paul Pouliquen, de faire des débats à Gasto, des débats sur la sexualité, des questionnaires, tout un tas d’actions hyper importantes. Je me souviens du député italien qui avait écrit une horreur et on avait fait la manifestation devant le consulat d’Italie pour protester en 94. C’était plein d’actions, ça n’arrête pas : par exemple, dans une semaine, on pouvait avoir un CA le mardi, l’action devant le Consulat d’Italie le jeudi, la soirée du CEL vendredi, le samedi une pétition, bref... on n’arrêtait pas et ça nous prenait énormément de temps mais en même temps, c’était dans un climat... des fois on se crêpait le chignon mais il y avait un sentiment de solidarité, de joie, d’enthousiasme et de force...
Je me souviens quand en 94 le 18 juin, il y avait une voiture de flics en haut de la Canebière, on était sur le trottoir, on avait dit : début de la manif 15h. Le flic nous dit : maintenant, il faudrait y aller en venant vers moi. On s’est tous regardé et on a descendu le trottoir et on est parti avec nos pancartes bricolées la vieille... et on a défilé que sur la Canebière donc pas un gros défilé...
Et l’année suivante, on était 2000 ! Et c’est là où apparaît... Pour moi, ce qui était très important c’était ce côté associatif, ce côté militant, ça pouvait faire un peu amateur mais c’était aussi notre force !
En 94, on avait eu une soirée à l’Alhambra (salle de location marseillaise où on fait de nombreuses fêtes) avec 500 ou 600 personnes. Tous les établissements commerciaux ont regardé ça et après il y a eu une volonté de récupération par les commerciaux. C’est là où ça commençait un peu à coincer, à merder et faire de sacrés problèmes... entre justement le côté, on va dire, j’ose le dire, un peu pur de militantisme et puis le côté commercial... Sur ce journal, il y a marqué "Anniversaire du Gay Pride" (rire)... et c’est dans la rubrique de la nécrologie... et ils disent 200 personnes et on était 400 ! Et donc, dès 94, c’était pas seulement le défilé, c’était des débats sur le CUCS, sur la visibilité...
Je pense qu’il y a tout ce mouvement qui a amené là où on en est mais ce que je déplore, c’est qu’il y ait peu de mixité, ça a toujours été le débat chez les lesbiennes, entre les lesbiennes féministes ou plutôt féministes et les lesbiennes pour la mixité. Il est important d’avoir une visibilité mixte et de voir plutôt ce qui nous réunit plutôt que ce qui nous oppose. Et en essayant d’avoir un côté pédagogique par rapport aux mecs...

Documents contenus dans le témoignage
Gay Pride 1993 1994-CEL Pride 1994 Gay Pride 1994 1994 GayPride dossier de presse