Sylvie !

Sylvie G

Sylvie G
53 ans
Marseille

Vous pouvez voir en cliquant sur les mots en bleu les documents (photos, tracts, compte-rendus, etc...) qui accompagne chaque témoignage.

Patricia G. : On se connaît depuis longtemps, c’était peut-être pas en 77, tu arrivais à Marseille

En 81.

P. G. : Tu arrivais de Nancy, si je me souviens bien.

Oui. J’ai eu une adolescence hétéro, mais une adolescence militante. J’étais dans les comités lycéens, on se battait pour la contraception dans les lycées, pour la cantine. J’étais aux jeunesses communistes révolutionnaires donc j’étais bien entraînée. Puis à 18 ans l’explosion de la sexualité et de la curiosité, les filles ça m’intéressait aussi mais comme j’avais lu que c’était normal qu’à l’adolescence on se cherche, je me suis cherchée, sans me dire que j’étais homo.
À Nancy, où j’habitais, j’ai rencontré des filles vraiment lesbiennes, qui ne vivaient que ça. Quand on en a parlé avec Maryline et d’autres filles, je me suis dit que je devais être lesbienne. Puis ma curiosité m’a poussée à descendre dans le sud.
Comme j’étais très militante, le 4 avril 81 il y avait une grande manifestation homo en France, qui était avant l’élection de François Mitterrand, reconnue comme étant éventuellement la première Gay Pride : on voulait la dépénalisation de l’homosexualité. Pour moi, ça a été vraiment un moment marquant. Je me rappelle les gens qui étaient sur le trottoir, c’étaient vraiment les premières manifs, nous regardaient comme si on était des extra-terrestres. Il y avait ce côté revendicatif, provocateur, moi j’avais 20 ans, (je suis née en 61), j’adorais et ça m’a aussi conforté dans mon côté "ça doit être bien d’être lesbienne".
Après on a fait une petite association à Nancy avec Maryline et on avait rejoint une grande association qui s’appelait le CUARH (Comité d’urgence anti répression homosexuelle) et après Maryline et moi on été attirées par le Sud et par le soleil donc on est descendues parce qu’il y avait les premières UEH, je ne me souviens plus si c’était en 81 ou 83, les UEH c’était tous les 2 ans.
Enfin, il y a eu toute une série où je suis descendue... à L’Euzière qui est un grand camping de lesbiennes : il y avait environ 400 lesbiennes de toute l’Europe, un grand terrain et moi j’ai adoré. J’avais jamais fait de naturisme, j’étais une hétéro de l’Est où on ne se découvre pas, il y avait des filles de Suède, de Norvège qui mettaient leurs petites éponges quand elles avaient leurs règles, qui venaient nettoyer leurs éponges sous le robinet, j’avais les yeux (NDLR : à la retourne), ça se massait, ça se tripotait dans tous les coins, ça délirait, ça discutait. Incroyable !!!
J’ai continué ma route, je suis arrivée à Marseille, c’était une grande époque : 79, les premières UEH où il y avait toutes les sensibilités du milieu homo, c’était intéressant. J’ai rencontré une féministe qui était à la maison des femmes à l’époque, je n’ai pas rencontré Evelyne mais elle devait être dans la bande. Il y avait aussi le groupe du MLF et je me suis dit : "Il faut que je revienne dans le Midi, je veux habiter là".
Donc je suis allée finir mes études d’infirmière et je suis descendue dans le Midi. Et à part une infidélité à Paris pendant un an, depuis je suis à Marseille. J‘ai bien exploré ma sexualité lesbienne toutes ces année-là. J’ai découvert le plaisir d’aller se baigner à poil sur les plages au petit matin, c’était une époque où il circulait beaucoup d’acides et on se faisait de bons délires au LSD et pour moi le milieu lesbien à Marseille, il était lié aussi à des délires avec de la drogue, des amphétamines…
En 83, il y a eu encore des UEH. Après, je ne suis plus sûre des dates, mais, il y avait le journal Lesbia qui a démarré : on était copines avec les filles de Lesbia donc il y avait pas mal d’échanges. Ce qui était très important dans le milieu lesbien, c’est qu’on a beaucoup interrogé la notion de pouvoir et de contre-pouvoir à travers le sadomasochisme lesbien. On n’était pas dans l’égalité comme les féministes, "je ne veux pas de pouvoir". Les jeux de pouvoir existent, on peut les utiliser, on peut en tirer du plaisir, on peut les déjouer, les déconstruire pour mieux en profiter… J’ai adoré cette période : on parlait aussi des femmes fontaines, il n’y avait aucun tabou sur la sexualité.
Il y a eu aussi une exposition au Vieux-Port, je ne me souviens plus de son titre, c’était dans le cadre des UEH : Le plaisir de la fessée et puis je ne sais plus quoi… Je sais que la parole était libre et que les corps étaient libres. Chaque fête se terminait torse nu, dès qu’on avait chaud il n’y avait pas de tabou hop !!
Je me rappelle aussi qu’il y avait beaucoup d’échanges d’une région à l’autre, d’une ville à l’autre : je suis allée à Bagdam Cafée suivre les Belladonna pour faire le fan club à Toulouse.

Michelle B. : Il y a eu aussi un échange entre le Scandalo et les Bigoudies, les filles du Scandalo sont descendues mixer aux Bigoudies, le CEL avec la Luna Loca, les 3G : on a fait une fête ensemble.

Je suis montée un an à Paris pour rejoindre une femme que j’aimais, Nicole qui a créé le Scandalo, les Scandaleuses et autres lieux et je suis redescendue avec Laurence Chanfreau dans mes bagages. Un échange standard.
Puis il y a eu les années after, on était 4, les 4 qui ont fondé les 3G : Agnès et Laurence, Dominique qui était notre trésorière. On s’est croisée à Act Up, on était toutes concernées par le sida à divers titre, personnel, familiaux, militant, donc on s’est retrouvées là. Et puis, nos délires aidants et le fait de vouloir se retrouver entre lesbiennes, il y a toujours cette ambivalence : on est toujours plus forts à plusieurs en rejoignant les gays ou d’autres associations, mais à un moment on a toujours besoin et envie de se retrouver entre nous. Et puis comme disait Michelle, l’inconscience, l’envie, la folie, on s’est dit "On va faire notre bar à nous qui nous manque". On voulait un bar ouvert le soir, avec un flipper, on avait comme ça un certain nombre de critères qui seraient de gauche parce que c’étaient vraiment des valeurs anti Front National. On s’est vraiment rejointes sur des valeurs précises de ce côté-là : anti raciste, anti Front National, féministe et avec une sexualité tranquille, affirmée, curieuse, explorée, il n’y avait pas ce tabou-là. On parlait de cul, beaucoup !

La plus passionnée c’était Laurence, c’est donc elle qui a initié les choses. Sans elle, le lieu n’aurait pas existé. La plus folle étant Agnès... Et moi ? La plus branchée militante. La plus pragmatique. Et Domi, elle a cadré les sous, et elle a fait que ça marche, comme trésorière, elle était extraordinaire. Et on a eu l’adhésion de toute une communauté. Le CEL a donné de l’argent dès le début pour ouvrir. On a eu des soutiens matériels, on a eu des dons.

Patricia : Il y a aussi le Collectif et les Bigoudies. On a fait la fête et avec l’argent récolté vous avez fait la chape.

Comme elles étaient folles, elles nous avaient pris un lieu où il y avait de la terre battue sur le sol, il y avait des gravats derrière, il n’y avait pas de WC, une hallu... Et c’est devenu ça (dit-elle montrant la pièce d’un geste du bras). Pour revenir sur les années Act Up, la 1ère Gay Pride de 1994, je l’ai faite en tant que militante Act Up. Il y avait vraiment un groupe de femmes, je vous ferai passer les photos.
Aux 3G, on a fait un groupe de mères lesbiennes, pour en parler pour moi puisqu’en 90 j’ai eu mon fils par insémination artificielle : ses cousins m’ont dit "mais t’es artificielle ou t’es naturelle ?". Maintenant on emploie des termes comme PMA qui sont peut-être moins stigmatisant et plus facile à dire pour les enfants. À l’époque, il n’y avait pas les lois de la bioéthique. La société s’est crispée sur beaucoup de sujets : en 90, je l’ai fait à Marseille dans un cadre tout à fait légal et la sécu a remboursé les paillettes, je n’ai pas été au bout du monde. En 94, les lois sur la bioéthique sont passées et on réservait toutes ces techniques aux couples hétérosexuels clairement identifiés : il y a eu des verrous qui ont été posés. Avec ce groupe de mères lesbiennes on a fait des pique-niques, plein de choses.
J’ai adoré la soirée contre le racisme et contre le Front National et contre ses valeurs, ça a été vraiment quelque chose de porteur. On réaffirme des valeurs, et c’est pour ça que je reviens aux 3G, parce qu’on réaffirme des valeurs. Parce qu’un moment, au gré des changements de CA, c’était teinté de libéralisme et pour moi, être lesbienne, c’est à partir du moment où on remet en cause un choix, une norme que la société nous présente comme naturel. D’un coup, on change les lunettes et plus rien n’est naturel et plus rien ne coule de source. Et donc, on peut tout remettre en cause, dire "Non, on peut sûrement faire autrement. C’est pas parce que la majorité fait comme ça que moi je vais faire comme ça".
L’aventure des 3 G, comme dans toutes les histoires qui sont portées par des histoires de cul et de cœur, c’est un peu compliqué, alors, j’ai abandonné l’aventure 3G et j’ai passé quelques années à ne plus trop militer. Enfin, à militer basiquement parce que je ne peux pas trop m’en empêcher. Et puis, il y a deux ans on est reparti dans l’affaire avec Evelyne, à la Mairie de Marseille, où on travaille, on avait des collègues qui vivaient des situations d’homophobie et encore on n’était pas dans des climats du "mariage pour tous" qu’on a toutes entendu dernièrement.
Mon militantisme, à 50 ans, c’est aussi vouloir être un modèle : se dire qu’on peut être homo et avoir une vie sociale, une vie familiale et une vie professionnelle épanouie. Je trouve que nous, les lesbiennes, on a très très peu d’exemples, de modèles et c’est très difficile. On a eu Amélie Mauresmo qui nous a fait un petit coucou il y a quelques années et depuis je trouve que ça bloque. C’est pas les BD lesbiennes, bidon, marketing qui changent les choses. On dit souvent qu’être homo ça relève de la vie privée et c’est pas vrai, ça ne relève pas que de la vie privée.

Valia : Les UEH non mixtes, tu veux nous en parler ?

Au début, on était à la Boulangerie, à la rue de Bruys, c’était mixte et on se réunissait, il y avait Evelyne, Rosa… et plus on se réunissait et plus on avait envie de se réunir et on avait essayé de négocier avec ceux de la Boulangerie pour avoir un espace non-mixte. Ils nous avaient concédé joyeusement le jeudi soir, soir qui n’intéresse personne. Donc les frictions ont commencé, on a demandé à avoir parfois le samedi soir, tout de suite le côté féministe, on veut les mêmes choses que vous. Mais rapidement on s’est aperçues qu’on n’avait pas notre place, ou pas une place suffisante, et la maison des femmes qui était à la rue Benoît Malon juste en dessous était en train de perdre des forces vives. Et elles étaient tout à fait prêtes à un passage en douceur d’une maison des femmes à un lieu lesbien, donc on s’est engouffrées dans cette proposition qui s’est faite, dans mes souvenirs, relativement facilement. Quelques femmes sont restées à la Boulangerie : il y a eu scission et nous on a envahi la "Douce Amère" qui n’était pas très loin d’ici. Il y avait un lieu en haut qui a fait backroom quelques fois. C’était aussi une ancienne boulangerie aussi, il y avait la grande pièce où il y avait le four et où nous on y faisait des fêtes. Il y a eu des velléités d’autogestion mais pas vraiment autogéré, il y a eu de tout. 

Patricia : Il y avait des permanences où on pouvait venir parler, on en faisait 2 fois ou 3 fois par semaine je crois. Il y avait des permanences où pour la première fois on permettait à des lesbiennes de venir parler de leur homosexualité.

C’était vraiment un lieu de rencontres lesbiennes et c’était le premier lieu qui existait comme ça : on n’était pas dans une maison d’associations, on n’était pas avec des groupes féministes, on n’était pas avec les gays, non, c’était un lieu de lesbiennes pour des lesbiennes

Patricia : Il a marqué la naissance du mouvement lesbien à Marseille.

Il y avait aussi des lesbiennes radicales à Marseille, je ne sais pas si tu as réussi à avoir des représentantes ?

Patricia : Elles ne viendront pas.

20 ans en arrière, j’ai découvert l’hétéropatriarcat, qu’il y avait des collabos, c’est-à-dire que si on se laissait pousser les cheveux et qu’on se maquillait, on était collabos. Mais oui, pourquoi pas, je me suis coupé les cheveux. Je crois que j’ai adoré toutes les périodes, je pense qu’elles étaient nécessaires, il n’y a pas de mouvement spontané et je sais pourquoi j’ai pensé certaines choses à ce moment-là, je sais pourquoi j’ai avancé : à l’époque le mouvement trans ne me parlait pas du tout, la notion de genre ne me parlait pas du tout et je ne me sentais guère de points communs avec Michel qui venait aux 3G, pour moi, c’était un homme. Et maintenant, avec toutes les interrogations que j’ai pu avoir sur moi-même, avec les rencontres, les apports théoriques des unes et des autres, même si je continue à me dire lesbienne radicale pour autant j’ai un fils, pour autant je milite dans une association mixte, je pense que toutes mes facettes sont toujours là. Je suis capable de défendre le radicalisme et dire que mon rêve serait une maison de retraite de lesbiennes, non mixte : je préfère qu’elle soit avec des hétéros femmes qu’avec des garçons gays. Quant aux Universités non mixtes, c’est pareil, on voulait notre espace : dans les UEH on avait fait des groupes de paroles entre lesbiennes dans les précédentes UEH.

Patricia : Il n’y en avait eu qu’une d’UEH avant la non mixte. La première UEH était mixte et la 2è on l’a déclarée non mixte.

On a fait scission, on a réussi à avoir l’Académie de musique à la Place Carli. Dans la répartition des lieux, c’était important pour nous qu’on ait suffisamment de lieux, suffisamment d’endroits, on avait des copines qui à l’époque étaient bien installés dans les quartiers, donc on a pu avoir des lieux pour faire des fêtes, on a fait venir un groupe d’Irlande, il y avait plein d’ateliers différents, des conversations différentes : c’était un moment assez porteur, assez extraordinaire et riche.
À chaque fois qu’on a organisé quelque chose dans cette université non mixte, à chaque fois ça validait nos forces, chacune repartait pour 6 mois : tu disais qu’il n’y a pas de souvenirs à Marseille et qu’il fallait que ce soit redit, mais il y a eu plusieurs rassemblements au mois de juin pour faire des sortes de lesbiennes pride, des fiertés lesbiennes, pendant un mois avec des fêtes, des lieux, les associations lesbiennes ont toujours réussi à monter des événements ensembles.

Agnès dans la salle : la grande fête qu’on a fait aux Docks des Sud, il y avait 800 personnes…

Oui, la fête Aux Jardins de la Réale… Les lesbiennes, je dirais, sont intelligentes, et elles sont toujours arrivées à fonctionner en Inter associatif sans qu’il y ait prise de pouvoir, sans qu’il y ait des mots, sans enjeux financiers… Ce que je déplore aujourd’hui dans le milieu mixte, c’est qu’on est confronté aux égos, d’aimer les pédés ou de ne pas aimer les pédés.

Valia : Ta plus grande émotion militante, c’est quoi ?

J’hésite. Je me souviens de la 1ère fête lesbienne à la Salle Wagram : il devait y avoir 1000 femmes. On est montée en moto avec Gomina, et après toutes ces heures de moto, la fatigue, un truc... tu te dis "Je rêve quoi". C’est tous ces moments collectifs qui appellent l’émotion collective comme certains grands groupes. C’est sûr, les premières Gay Pride : tu y vas, tu es dans la rue. Je pense qu’à chaque fois l’émotion n’est pas liée à des trucs personnels, c’est toujours ce côté de se sentir porter par un mouvement, par des personnes, ça fait écho. Qui tu es, qui tu portes, tu as de l’écho. Alors que normalement, dans une vie lesbienne basique : il y a peu d’écho …. Je pense que c’est ça aussi dans ce lieu : tu as un petit écho, tu peux venir te ressourcer, tu parles avec l’une, avec l’autre et tu repars un peu mieux et ça c’est très important.

Documents contenus dans le témoignage
L’Euzière Université d'été homosexuelle 1979 UEH 1983 Lesbia Magazine Les 3 G GLH