Ulla !

Ulla

Ulla
64 ans
Forcalquier

Vous pouvez voir en cliquant sur les mots en bleu les documents (photos, tracts, compte-rendus, etc...) qui accompagne chaque témoignage.

Je suis arrivée en France en 1975 dans une communauté en Ariège, à cette époque j’étais encore hétérote.
En 1978, je suis arrivée à Forcalquier à 150 km de Marseille. J’avais fait une formation de ferronnière à Gap, à l’époque j’étais avec un copain et on a installé un atelier de ferronnerie à Forcalquier.

Patricia G dans la salle : Il faut dire qu’à cette époque, Forcalquier attirait beaucoup de "babas" qui allaient y monter leur communauté.

Oui, c’est un endroit qui a beaucoup attiré de néoruraux, des artistes, c’était assez international avec des communautés, plutôt des gays, plutôt des hommes, mais il y avait aussi des lesbiennes.
Moi-même, j’ai eu ma première expérience lesbienne pendant ma formation de ferronnerie. On était dans des métiers "d’hommes", la formation avait été ouverte aux femmes 2 ans avant, grâce à Simone Veil. J’étais d’abord la seule dans la section ferronnerie puis, une nana est arrivée en électricité et on a rien trouvé de mieux que de sortir ensemble. Avec tous ces mecs autour de nous...(rire). On était derrière à la cantine, on se tenait par la main, mais on ne se montrait pas parce qu’on se serait fait lyncher. Ça n’a pas duré, on est toutes les deux retournées dans notre petit "confort hétéro".
Je suis arrivée à Forcalquier avec mon copain dans notre atelier de ferronnerie et pour moi, c’était clair que le prince charmant, j’en avais marre de lui et que j’allais vers d’autres princes charmants, puis je me suis dit que ça n’allait pas dans ma tête. C’est là que j’ai rencontré mon premier grand amour femme. Elle m’a amené à L’invitée, le seul resto à Aix, il y avait des fêtes régulièrement. Elle, elle s’est dit "Bon, ben je vais sortir une pauvre hétérote qui va pas bien avec son mec", et moi, je me suis dit "Bon, ben elle m’amène c’est que…". Toute la soirée j’étais un peu étonnée parce qu’elle draguait ailleurs, et puis on a fini quand même la soirée ensemble. C’était parti.
Après on a eu un peu des contacts avec le mouvement, c’était l’époque des premières universités homo à Luminy.
Mais c’est seulement une fois qu’on s’est séparée que j’ai pu rencontrer les autres lesbiennes qui étaient à Forcalquier. Là, c’était une assez joyeuse bande, on descendait à Marseille pour taguer, pour des actions. On est allée aussi à Genève, du coup on sortait de notre petit coin et on a vu tous les problèmes des lesbiennes du monde entier. J’ai pu trouver une maison à Forcalquier que j’ai achetée et qui fallait beaucoup retaper.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire une activité de stage pour femmes. Déjà à la maison, j’ai organisé un chantier de femmes pour retaper et pour construire mon atelier.

Patricia G dans la salle : Les chantiers, c’est un peu à la façon allemande, parce qu’en France il n’y en avait pas beaucoup à l’époque.

(Ulla montre une photo) La copine qui retape le toit, c’est une plombière qui venait de Toulouse, mais c’est vrai que la plupart étaient des allemandes où c’était plus répandu. J’ai toujours eu des contacts avec les mouvements allemands et américains. A Toulouse, il y avait un assez grand groupe de femmes qui étaient dans le bâtiment, après 68 c’était à la mode pour les femmes d’aller dans les métiers d’hommes. Sauf que ça n’a pas duré très longtemps, parce qu’il n’y en a pas beaucoup qui ont résisté là-dedans. Elles ont compris que c’était plus confortable ailleurs, avec les diplômes qu’elles avaient en général. A Toulouse, elles ont fonctionné en association ou autre chose, mais elles se sont entraidées pour exercer leur métier genre plombière, menuisière, etc.., avec une gestion en commun et cette plombière vient de là.

Après, j’ai organisé pendant environ 10 ans des stages de ferronnerie non-mixte, en général beaucoup de lesbiennes mais aussi d’autres femmes. J’ai apporté des photos pour montrer l’ambiance de la forge. Ça c’est le grand marteau-pilon qu’on a appelé Madonna, c’est un jeu de mots parce qu’en allemand tonnerre c’est donna, donc c’est ma tonnerre. Elles adoraient se forger ce genre d’objet (elle montre une photo de la double hache d’Artémis, symbole lesbien) ou des lances. En France, la double hache était encore très mal vue à cause d’un "certain passé", mais les allemandes étaient plus sous l’influence américaine qui avaient choisi en rapport avec les symboles de la Crète matriarcale et c’était devenu le symbole des lesbiennes : la hache des Amazones. Il y a donc plein d’amazones qui ont forgé leur double hache.

Il y avait aussi à Forcalquier une communauté lesbienne internationale. Un couple d’anglaises dont l’une était réalisatrice à la BBC et faisait des films féministes, l’autre était chef maquilleuse, elles y avaient leur résidence secondaire. Une écrivaine allemande s’est installée environ 6 mois et organisait des sortes de salons littéraires chez elles et nous, on amenait des sculptures pour décorer son jardin. Elle invitait toutes les lesbiennes de Forcalquier. C’était une vieille militante lesbienne de Berlin et elle connaissait toute la vie militante de Berlin. Il y a eu aussi un couple de femmes dont une dessinatrice vivant entre Berlin et Forcalquier et une Néozélandaise. Un autre couple Allemande et Australienne s’étaient installées là après être parties d’une terre de femmes où ce n’était pas facile. Il y a Dalila qui a aussi habité à Forcalquier. Voilà, c’était assez international.

Patricia G. : Chez toi, j’ai le souvenir que ça parlait toutes les langues et on se retrouvait avec plein de femmes qui venaient de tous les pays. Tu faisais les stages mais il y avait des femmes qui venaient passer des vacances chez toi.

Plus ou moins, ce n’était pas une maison de vacances pour femmes comme font d’autres. C’étaient des stagiaires qui passaient, qui campaient dans le jardin, il y en a aussi qui venaient pour continuer à m’aider à retaper cette baraque qui n’est toujours pas finie.

Après, on allait toujours à la semaine lesbienne à Berlin où j’en profitais pour présenter mes stages et on allait aussi au Festival de Films de Femmes quand il a commencé à Paris : on allait toujours aux deux endroits.
J’étais avec une femme artiste, donc on était plutôt engagées dans des actions artistiques. On a commencé à organiser en été, des rencontres d’artistes lesbiennes. On a travaillé ensemble, on a dessiné, on a fait ensemble des séances de modèle vivant mais c’était différent des Beaux-Arts, parce qu’on était à poil presque tout le temps, donc ça ne changeait pas grand-chose de se mettre à poil pour se faire dessiner.
On avait aussi des moments de discussion, de réflexion justement sur comment sont traitées les femmes comme modèles dans l’art et comment nous en tant que lesbiennes on vit ça autrement, ne pas contraindre le modèle…. On était assez inventives sur ce sujet. On a organisé 2 ou 3 rencontres en été et puis on a participé aux expositions d’artistes lesbiennes pendant le Festival de films lesbiens à Paris, au tout début quand le festival se passait au Kremlin-Bicêtre. C’était un groupe de femmes artistes qui tournait bien. Au 10è (je crois) anniversaire du festival on a organisé une exposition à la gloire de toutes les organisatrices du festival. On a construit des grands portraits en carton (elle montre plusieurs photos) des organisatrices qu’on a suspendu dans la pyramide du Kremlin-Bicêtre, sur la rampe qui tournait autour pour aller dans la salle, donc tout le monde tournait autour de l’installation pour la regarder.

Dalila a tourné son film, qu’elle n’a malheureusement toujours pas monté, sur les Amazones dans mon atelier : ce sont des amazones qui forgent des dames pour qu’une révolution se crée ou quelque chose comme ça. C’est de là qu’il y a un groupe qui s’est formé autour de lesbiennes issues de la migration ou migrantes qui se sont retrouvées autour de ça et qui ont discuté de leurs problèmes spécifiques, j’ai prêté mon lieu pour qu’elles puissent se réunir et après est sorti le "groupe du 10 novembre". L’année d’après on a décidé avec une autre artiste de monter une installation sur le racisme qui peut être aussi à l’intérieur du mouvement lesbien par ce qu’on a perçu des remarques racistes. C’est souvent pas un racisme déclaré mais des choses qu’on intègre sans avoir réfléchi dessus comme les blagues sexistes des machos sur les femmes : c’est pas drôle. A l’époque on n’avait pas de conscience de ces questions. Nous, on a créé des objets en carton, en terre : il y avait les mauvaises langues, les dents pointues et les questionnements (elle montre des photos): là-dessus on a collé des phrases qu’on avait entendues dans notre entourage. On les a mises sur la pyramide du Kremlin-Bicêtre, à l’époque, c’est pas très bien passé. On s’est fâchée avec des copines de longue date qui disaient : "on n’est pas racistes". J’espère qu’après il y a eu de la réflexion à partir de là et de l’intervention du "groupe du 10 novembre".

Patricia G dans la salle : Ce sont les premières questions sur le racisme chez les lesbiennes, on a commencé à en prendre conscience, à en parler.

Oui, jusque-là on se vivait uniquement comme victimes et on était toujours ensemble contre quelqu’un, la société machiste, etc… après il fallait se remettre en cause soi-même, prendre conscience qu’il y a des structures et que nous en tant que blanches on est privilégiées.

J’ai amené quelques photos du CEL quand je faisais partie d’un groupe qui faisait des sorties en montagne : c’était des sports un peu extrêmes, genre du canyoning ou des via ferrata ou de l’escalade. C’était dans le sens : on se donne la force entre nous et on arrive à se dépasser. Aujourd’hui, c’est devenu à la mode, tout le monde y va, mais c’était un moment où ça ne se faisait pas encore.

J’allais à Attac à ce moment-là, c’était le début des questions sur la mondialisation. Il y a eu une rencontre à Die de la Coordination lesbienne où on a commencé à introduire les questionnements sur la mondialisation. Personnellement, après, je suis plus rentrée dans ce genre de lutte et je me retrouvais moins dans le mouvement lesbien, parce que ça se chevauchait aussi.. J’ai vu pour la première fois dans le milieu lesbien, à Cineffable, le film "Si les femmes comptaient" puis j’ai branché mon groupe Attac de Forcalquier pour qu’on montre ce film dans les cinémas à Château-Arnoux, à Forcalquier. C’était un film très frappant dans les années 90 : c’était un des premiers films qui expliquait le fonctionnement de la finance, les liens avec la guerre, la vente des armes, etc…

Dernièrement, j’ai recommencé un peu à faire des stages : j’ai rencontré une bande de jeunettes qui sont à Marseille, elles ont fait une émission à radio Galère qui s’appelait "le complot des Cagoles", ce sont plutôt des femmes de 20/30 ans qui sont plus dans le milieu des squats et dans le milieu anarchiste. Il y a tout un réseau de radio : Grenoble, Notre-Dame des Landes. Je suis en contact avec ces jeunes femmes parce qu’elles sont très intéressées à apprendre des choses en ferraille, en bâtiment : pour les squats elles apprennent à souder parce qu’il faut tout de suite mettre des barreaux pour que les types ne puissent plus rentrer. Donc, elles savent toutes un peu souder. Là, on fait un stage mais souvent on fait des échanges, elles viennent m’aider à retaper ma maison, c’est surtout comme ça qu’on a des contacts. Je suis proche de Longo Maï aussi, parce que je fais partie de toute cette mouvance anarchiste, radio aussi. Par exemple, pour Notre Dame des Landes, ils ont organisé pendant une semaine une occupation de la place centrale de Forcalquier, ils ont campé dans des petits cabanons, et ils restaient toute la nuit à faire du feu, des émissions radio etc… Maintenant, il y a une nana qui est sortie de Logo Maï et qui a monté une association féministe à Forcalquier, et avec Myriam on a adhéré à cette association où on est les deux lesbiennes de service qui donnent toujours leur avis s’il y a des questions de genre ou de lesbiennes. On a organisé dans le cadre de la journée contre les violences faites aux femmes une après-midi de 3 films sur ce thème avec des débats. Dans cette association, il y a aussi des hommes féministes et c’est très intéressant de rencontrer des jeunes hommes féministes. Ce qui est intéressant aussi, c’est qu’on se rend compte qu’elles se retrouvent comme nous après Mai 68 avec les Gauchistes, les femmes n’arrivent pas à avoir leur place et alors elles organisent de plus en plus des événements non mixtes. Mais c’est difficile, par exemple, dans le mouvement anarchistes à Marseille, ils ne voulaient pas leur passer des locaux, ou à Notre Dame des Landes quand elles ont voulu faire une émission féministe, ça n’est pas passé : alors elles ont fait venir des copines féministes de toute la France et elles ont organisé une semaine de réflexion féministe non mixte. Ça cogite beaucoup pour essayer de faire comprendre à ces jeunes mecs anarchistes qu’il faut un minimum de mixité de temps en temps.

Documents contenus dans le témoignage
L'Invitée à Aix-en-Provence Université d'été homosexuelle 1979 chantier de femmes chez Ulla chantier de femmes chez Ulla des stages de ferronnerie non-mixte Madonna, le grand marteau-pilon Sports extrêmes