Sylvie !

Sylvie M

Sylvie M
53 ans
Marseille

Vous pouvez voir en cliquant sur les mots en bleu les documents (photos, tracts, compte-rendus, etc...) qui accompagne chaque témoignage.

Ma militance à Marseille a démarré par 10 ans de non militance, parce que je suis arrivée à Marseille en 82 et je n'ai pas trouvé les personnes que j'avais envie de rencontrer. Du coup je montais souvent à Paris, c'est là-bas que j'ai rencontré les premières lesbiennes et en 92 ou 93, je rencontre des filles du C.E.L. par l'entremise d'une ancienne copine. Et là je vois que les filles ne sont pas abonnées aux revues de lesbiennes en 92/93 et je me dis mais quand même il faut être abonnée à Lesbia, à Questions féministes, aux revues qui existaient à l'époque. C'était les revues papiers, je ne sais pas si le minitel avait démarré...

Patricia : Parce que donc, tu n'avais pas rencontré de militantes ni de groupe militant lesbien mais tu te tenais informée ? Tu connaissais déjà les revues ?

Et oui, à Paris il y avait une vie militante intense et donc là je voyais toutes sortes de femmes, des femmes de tous âges, de toutes origines sociales, culturelles, ethniques … C'était vraiment super intéressant, tous les lieux parisiens, les boîtes, le Katmandou première boîte lesbienne à Paris tenu par Elula Perin et toutes celles qui se sont succédé, les restos, les librairies, enfin c'était hyper foisonnant et à Marseille je me disais mais où sont-elles ?
Et donc j'arrive au C.E.L, c'était une bande de copines très sympathiques mais qui passaient des moments festifs et moi j'avais envie qu'on soit un peu dans la conscience de nous-mêmes, ça m'intéressait beaucoup. Donc on a vu le désert dans lequel on était à Marseille, parce qu'on ne connaissait pas les femmes qui avaient milité avant, on était des néo-militantes au C.E.L donc on décide, des copines disant mais moi j'ai une copine qui a fait ça avant, de lancer une info en disant que toutes les filles qui ont envie de discuter de féminisme et de lesbianisme, viennent au local du C.E.L qui était au bd Longchamp à l'époque et là super succès, une cinquantaine de personnes...

Patricia c'est là que je t'ai vue pour la première fois.

Super succès, toutes les filles ravies de se voir, de discuter, il y avait plein d'historiques qui étaient là : Nicole S., Maïté M., Dominique P., Chantal G. qui était la présidente du C.E.L de l'époque et puis plein d'autres femmes que j'ai rencontrées et avec lesquelles j'ai lié connaissance. Vu le succès, on décide de se revoir 3 semaines après, et là c'était merveilleux on a pris plein de photos... Il y avait Ulla, la ferronière qui était descendue de Forcalquier, il y avait une espèce de dynamique et en même temps je sentais bien qu'il y avait des filles qui étaient un peu sur la réserve, parce que c'étaient des filles qui avaient dejà vécu des choses et c'était une réunion un peu étrange de femmes qui se connaissaient et d'autres qui ne se connaissaient pas.
A partir de là, on a commencé à faire des tas de trucs et s'est posée très vite la question des droits des femmes et donc des droits des lesbiennes et aussi la question est-ce qu'on milite avec des garçons ou pas ? Ça s'est fait de façon assez, on va dire, conjoncturelle : le SIDA réunissait tout le monde donc en fait je suis allée voir du côté du Collectif Gay Marseille Provence qui du coup après s'est appelé Gay et Lesbien, parce que là ce n'était pas Chantal G. qui était à la présidence, c'était Dali et elle décide de faire de la militance mixte, et ça devient le Collectif Gay et Lesbien Marseille-Provence.
On fait la première Gay pride, Lesbian and Gay pride, c'est le souvenir extraordinaire d'être 400 sur la Canebière et de se dire la rue est à nous, il y a les Belladonna avec le biniou, je crois qu'on a le camion avec Christian Deleusse et toi qui parlaient à la fin sur les Arcenaux et c'est formidable, un moment extraordinaire.
Après c'est pas idyllique, il y a des tensions parce que quand on milite avec des garçons... est-ce qu'on ne perd pas nos forces pour les combats des lesbiennes ? Moi je pense que non mais certaines pensent que oui donc c'est assez tendu et finalement les courants divers font que les gens se séparent.
Mais à l'occasion de la 2ème Gay pride, on continue toujours de préparer ça, c'est super vivant, ça a un peu grandi, ça attise les convoitises du milieu commercial mais ça fait rien on fait un truc qui nous dépasse, tellement il y a de monde.
On projette le film Go fish au César et c'est l'occasion pour des filles de libérer leur parole, et on se rend compte qu'il y a des filles qui sont lesbiennes à Marseille qui vivent mal leur homosexualité et qui ont un petit côté lesbophobe parce qu'elles ne veulent pas que cette homosexualité soit visible. On décide de se retrouver pour faire un zap pour dire aux filles que oui quand on contrarie la visibilité des lesbiennes et bien on est lesbophobe et donc il faut réfléchir dessus mais il faut surtout s'aimer entre nous. On fait ce zap, on fait une fête de folie, je ne dirai pas le nom du restaurant qui n'existe plus. On se retrouve galvanisées, il y a Agnès, Laurence, Michèle, toi, Sarah, plein de filles et on décide de fonder quelque chose.
Agnès met toute sa pétulance et son originalité et nous propose les Bigoudies, c'est la super aventure des Bigoudies, et je me souviens que tu avais dit « On va faire des fêtes formidables et vous verrez, des femmes qui ne sont pas encore venues ailleurs, viendront au Bigoudies. Ça a été à moitié vrai mais on s'est éclatées aux Tea dance du dimanche, on les préparait comme des folles, c'était très politique et dans la rigolade, on a passé des moments merveilleux.
Et là, on s'essaie à la réflexion entre nous, on se fait des brunchs, après tout n'est pas rose, on fait un nouvel an terrible où on s'est dit que plus jamais on ne referait ça de notre vie, il n'y avait pas la même attente du côté des filles qui venaient un peu se faire servir et nous qui avions envie d'un lieu de rencontre pour le nouvel an et fêter la nouvelle année avec des femmes.

Patricia : Donc c'était le premier ou le 2ème réveillon des Bougidies ? C'était le 2ème qui était terrible, au Portail !

Ce sont des expériences qui me font penser "On est lesbiennes et on est ensemble, est-ce que c'est un dénominateur commun suffisant ?". C'était vraiment une question que je me posais parce que, finalement j'avais des copains et des copines pas lesbiennes avec qui ça se passait bien et je ne comprenais pas pourquoi avec certaines lesbiennes, il y avait comme un répétition de ce qu'on avait pas envie de vivre avec les hommes et c'était un petit peu terrible de se rendre compte de ça. Bon c'était pas la majorité mais quand même ça gâchait l'ambiance.
Comme je faisais toujours les aller/retours à Paris, il y a à Paris quelque chose de formidable au niveau de la militance, c'est Cineffable. Alors Cineffable, c'est la prise d'énergie maximum, ça bouillonne, tous les ans, on attend ces 5 jours avec impatience parce qu'il y a des ateliers, il y a toujours les mêmes femmes plus d'autres qui arrivent, c'est toujours des films différents et là on voit les premiers films super qui nous donnent la pêche, y compris des bluettes terribles, des documentaires, des films pornos.
Et, pas loin dans la foulée, Michèle P. et Florence F. montent Reflets à Marseille donc on a nous aussi des films mais je ne me souviens plus en quelle année Reflets a commencé...

Et donc Cineffable, c'est, pour moi, un endroit où j'entends les lesbiennes réfléchir tout haut, penser entre elles, diverger, être sur des courants complètement différents mais je trouve que c'est super parce que ça me fait penser le monde comme je ne l'avais pas pensé et ça m'intéresse de me dire que oui les femmes, et les gens en général, pensent différemment et c'est plutôt enrichissant que sclérosant.
Mais c'est très déstabilisant parce que du coup quand les autres parlent et qu'on a pas pensé ce qu'elles disent, on met du temps déjà à comprendre et puis à accepter que les autres ont des idées vraiment divergentes mais c'est carrément passionnant. Cette histoire de Cineffable, puis de Reflets à Marseille (et puis aussi des tentatives de projection qu'on fait par-ci par-là, on essaie aussi de faire un festival pendant la Lesbian & Gay pride mais ça foire, on a pas l'énergie, on a des contrariétés pas possibles) donne cette idée que le cinéma est un endroit où on peut réunir les personnes, les lesbiennes en l'occurrence, et discuter de nous.
Les films de lesbiennes avant, c'était "Immacolata e Concetta", mortifère !… ou alors le film avec Audrey Hepburn et Shirley Mac Laine La rumeur, tu sors d'un film comme ça... c'est notre histoire et c'est dramatique !
Là, on est à Cineffable et on rigole, on est heureuses, on fantasme, on trouve des filles super différentes et super belles, alors il y a des films avec des femmes grandes, petites, minces, grosses, jeunes, pas jeunes et on est toutes à l'écran et c'est carrément merveilleux ! Il y a plein de Marseillaises qui vont aussi à Cineffable et tout ça se nourrit et ça me marque tellement que finalement je décide d'y réfléchir, je réfléchis sur la question du genre en général et du cinéma et ça mène loin parce que je décide de poser quelque chose dans l'institution, en l'occurrence l'université et l'école et je mène un double travail sur la question du genre en montrant des films aux enfants et en réfléchissant sur les films à l'université.
Je pense que l'histoire des lesbiennes à Marseille, c'est que tout le monde amène sa pierre et que c'est un édifice qui est flottant, donc à la foi c'est fragile mais à la fois qui est fait pour que les choses se rencontrent, et que chaque fois quand la mémoire fait qu'on y repense autrement, c'est quelque chose de visible qui existait, qui est posé mais qui n'est pas sclérosé.

Patricia : c'est une belle image cet édifice avec des pierres flottantes qui laissent finalement plus d'espace aux libertés de chacune parce qu'on a vu dans ces témoignages qu'on était toutes très différentes mais finalement très complémentaires et ce qui ressort c'est cette complémentarité et cette imbrication...

Oui et qu'on se donne beaucoup de force, il y a des moments de tristesse et de déception mais il y a des moments de force et je pense que s'il n'y avait pas eu cette histoire collective des lesbiennes dans le monde, en général et des lesbiennes à Marseille dans le quotidien, je ne serais pas celle que je suis aujourd'hui, c'est sûr. Des moments que j'ai partagés avec des femmes et quelques garçons qui étaient bien féministes aussi et ça continue...

Documents contenus dans le témoignage
Questions féministes 1994 - CEL 20ans de féminisme 1994-CEL Dali présidente du CEL FR3 1994 Gay Pride 1994 LG Pride 1995 Go fish de Rose Troche