Christine !

Christine

Christine D.
64 ans
Marseille

Vous pouvez voir en cliquant sur les mots en bleu les documents (photos, tracts, compte-rendus, etc...) qui accompagne chaque témoignage.

Voilà, je suis arrivée à Marseille, en 94, donc mon témoignage sera plus bref et très monomaniaque sur les Bigoudies.
Donc je venais de Paris, tout en étant du Sud-Ouest et j'arrive à Marseille sur un arrêté rectoral puisque j'étais prof, nommée à Aubagne. Il a fallu que je fasse des vœux, alors j'avais dit Aubagne parce que ça sonnait agne, Gardanne, Aubagne, tout ça ça faisait Provence, ça faisait Pagnolesque. Et je suis arrivée, c'était pas du tout du Pagnolesque, c'était très dur, très très dur. Il faut que je dise aussi, je venais d'un milieu Parisien anar, hétéro et donc je vivais mes aventures féminines à la marge ( ….) et mais je savais très bien que c'était mon goût, mes goûts.
Donc, j'arrive ici et je me heurte immédiatement à quelques trucs : un racisme ordinaire qui m'a choquée à Aubagne et puis le racisme quoi, une habitude, c'était politiquement correct et puis un machisme épouvantable. Donc, j'étais en guerre permanente. Je ne rencontrais pas de complices, je me suis retrouvée complètement isolée. Je commence à douter de moi même, de mes choix, de tout ça, hein, (...)j'avais 45 ans quand même ! Je commence à dire : "Là ça ne va plus".
Donc, je suis allée à Toulouse au Bagdam, lieu lesbien Toulousaine, chercher des complices, chercher à parler quoi. Parce qu'à Marseille, je ne savais pas par où attraper la bête. Et puis au Bagdam, j'ai rencontré Agnès des Belladona et une jeune fille à la beauté explosive (rires ++++) tout le monde rit parce que tout le monde sait ce que je veux dire. Je ne dirai pas convulsive mais explosive.
Et voilà. Et Louisa est venue vivre avec moi à Aubagne et j'ai commencé à respirer un peu et à me retrouver un peu dans mes goûts, en fait, profonds. On a cherché à rencontrer des femmes sur Marseille et là on a appris l'histoire du CEL. Quand on s'est retrouvée un soir dans la salle, je sais plus, à la Blancarde, à l’Alhambra. Il y avait là beaucoup de femmes, c'était une hallucination pour nous deux ! Plus de quatre cent femmes ! Donc, pour nous c'était extraordinaire.
Et après finalement on s'est retrouvé dans cette histoire au cinéma, au César, au film "Go fish" et au pot qui était après. Et là s'est décidé la naissance des Bigoudies en fait. Nous sommes rentrées de plein pied dans cette aventure Bigoudies avec bonheur je dois dire. Moi, je n'avais jamais été militante lesbienne, je ne suis pas une militante lesbienne mais j'étais quand même passée en Italie par ce village de femmes qu'on appelait le "Cettino", qui était à côté de Sienne.
Et donc, nous voilà parties à l'aventure des Bigoudies où je dois dire j'ai trouvé là à la fois des sœurs pour me réconforter, j'ai retrouvé ma sensibilité que j'étais obligée de taire et de châtrer en fait. J'ai trouvé là toute une expression artistique, créative, une expression. J'ai trouvé là une expression, donc mon expression.
Donc, les Bigoudies c'était quoi ? C'était des thés dansants une fois par mois je crois, avec des thèmes et des propositions artistiques. Par exemple, j'ai adoré les Bigoudies au couvent. C'était assez d'actualité quoi. Les Bigoudies au couvent ! Et je me rappelle que je faisais passer des pancartes, "Notre Père qui êtes aux Cieux, restez y !" (rires). J'en ris encore.
Les Bigoudies, c'est pour moi un bon souvenir de ma vie, je dois le dire. Je suis à l'âge où on fait des bilans, donc, c'est un très beau souvenir de ma vie. J'ai trouvé aussi, j’ai retrouvée aussi le côté anar et subversif contre tous les conformismes. Parce que je suis une anti conformiste née. Et j'ai trouvé ce côté subversif et décoiffant de l'ordre moral. C'est ça… à la fois le jeu, le côté ludique, l'expression artistique et le côté subversif. Et en ce sens je peux dire que je suis devenue une militante à ce moment là. Donc, moi je m'en suis portée que mieux. J'ai repris du poil de la bête dans cette aventure.
Après il y a eu l'ouverture des 3 G et je suis venue souvent.
Depuis, je me suis un peu évanouie dans la nature. Bon, voilà. Et depuis il y a tous ces éléments politiques, le mariage, tout ça, tout ça.
Qu'est ce que je pourrai dire d'autre ? Oui, le souvenir des tableaux vivants, c'était extraordinaire. Et aussi la première fois qu'on a ouvert les Bigoudies...

Patricia : C'était une soirée érotique... avec des films pornos et lesbiens et un buffet érotique. On avait fait des oranges... on s'était amusée comme des folles.

Donc, ces Bigoudies, ça a traversé ma vie et j'y suis très attachée je dois dire. C'est inoubliable ! C'est vrai que ça m'a confortée, réconfortée et permis d'aller plus loin.

Patricia : Ce qui finalement est toujours le but du militantisme lesbien : que chacune entre nous y trouve des forces pour elle même. Je ne sais pas les autres militantismes mais moi le militantisme lesbien c'est comme ça que je le vis.

C'est sûr que passer de quand j'étais en classe dans un lycée professionnel avec les petits gamins d’Aubagne, les petits quèques, dès que je tournais le dos, c'était "Paris on t'encule" (rires). Je peux vous dire qu'au bout de 2 mois de ce régime (rires), il était temps d'agir! (rires +++).
Passer de ce régime là aux Bigoudies, oufff ! ! je peux dire ça a été la remontée vers la lumière ! et la chaleur humaine.
C'est terrible cette région quand même, ce machisme ! Dans le sud ouest, c'était pas pareil. C'est quand même très Sud Est. Encore dans les rues de Marseille aujourd'hui, il y a toujours ce triomphe... J’arrête pas de m'engueuler. Toujours ce problème de territoire

Patricia : Tes autres collègues ils avaient droits au même traitement ? Ou c'était juste parce que t'étais Parisienne et femme ?

C'était parce que j'étais Parisienne et femme et qu'ils devaient bien sentir le reste. Une fois un gamin m'avait dit "Madame vous avez un mari ? Non" Je devais pas lui répondre bien sûr ! "Vous venez de Paris ? Oui", j'aurai pas dû répondre non plus. "Vous avez des enfants ? Non" "Vous avez la télévision ? Non !" Mais c'est sale ça, Madame ! (rires+++) J'avais rien ! J'étais vraiment à pffff, à jeter à la décharge. C'est sale !
Donc, c'était quand même très dirigé contre moi. D'une part j'arrivais donc j'avais pas de clés, après, je les ai trouvé les clés bien sûr. J'avais pas les clés. Je venais de Paris. Ils devaient sentir que j'étais pas une femme tout à fait sur les rails etc, etc, ils me l'ont fait payer quoi.

Patricia : Est-ce que vous pensez que c'étaient les années qui étaient subversives ou le genre qui était subversif ? ou les femmes qui étaient subversives  à l'époque ?

Les deux ! Les Bigoudies, c’était un paquet de belle subjectivité et on étaient aussi subversives, on avait envie de ça. Et à la fois, ces années là étaient euphoriques... par rapport à maintenant. Maintenant, c’est un tel repli de l’ordre moral. On avait plus le vent en poupe... plus de possibilités. Je pense que c’est les deux. Et c’est vrai que les Bigoudies c’était une belle subjectivité... Et ne serait-ce que ma beauté convulsive... (rires)...

Documents contenus dans le témoignage
Go fish de Rose Troche Les Bigoudie's