Odile !

Odile

Odile
68 ans
La Cadière - Marseille

Vous pouvez voir en cliquant sur les mots en bleu les documents (photos, tracts, compte-rendus, etc...) qui accompagne chaque témoignage.

Patrica G : Bonjour Odile...

Bonjour Patricia, ça fait longtemps qu’on s’est pas vu et c’est très rigolo de se retrouver.

Patrica G : Tu va donc nous parler de ton long parcours militant, lesbienne et pas forcément non mixte...

Ah mixte complètement, d’ailleurs je n’ai milité que dans les groupes mixtes. Je n’ai jamais habité Marseille, j’étais pendant 30 ans sur La Cadière et maintenant je suis dans les Alpes de Haute Provence. Bien sûr, mon militantisme je le faisais sur Marseille. Mais j’étais à La Cadière tout le monde le sait, on a fait la fête à La Cadière... Alors, j’ai fait un petit historique : moi j’ai découvert mon homosexualité en 68... prise de conscience. Je faisais mes études d’infirmière, une infirmière s’était occupée de moi (rires) et donc j’ai découvert ce que j’étais... et en même temps, une prise de conscience politique parce que je me suis réveillé en 68, j’avais 21 ans et j’ai compris qu’il fallait bouger... J’ai commencé à avoir une conscience politique.
Au tout début, je n’ai pas milité dans les mouvements homosexuels, j’ai milité au MLAC, c’est très étonnant parce que j’ai eu une période un peu hétéro... Je me suis occupée des femmes qui devaient avorter et j’ai beaucoup milité au MLAC.
Ensuite, j’ai découvert les journaux et les radios libres, c’était la grande époque des radios libres.

Je commençais à habiter La Cadière et c’est curieux, je n’ai même pas cherché à rentrer dans les lieux non mixtes. Je suis arrivée en 81, c’était la période Mitterrand, tout le monde, les gens de gauche à La Cadière parlaient. Il y avait à Marseille des gens qui bougeaient. Et puis un jour, je ne sais plus par quel biais, par un journal, je sais plus lequel, un journal style "Le Torchon brûle", j’ai vu qu’il avait un lieu qui s’appelait "La Boulangerie" qui venait d’ouvrir et qui était un lieu mixte. J’ai dit : "Ah c’est là qu’il faut que j’aille ! ". Je suis arrivée à la Boulangerie, j’ai été très bien accueilli, un lieu convivial où on a passé notre temps à beaucoup rire, on a beaucoup ri, beaucoup ri...

Moi avec les mecs, je ris beaucoup... Je trouvais que les nanas... il y avait des nanas, prises de têtes, "ça on a pas le droit de le dire, ça il faut pas le dire, etc..." . Ça me gonflait et moi j’étais très bien à la Boulangerie ! Non seulement parce qu’il y avait de la convivialité mais aussi parce qu’on militait. C’était en 81, c’était une année très forte, c’était la deuxième année de l’Université d’Été Homosexuelle car la première année des UEH, je n’y étais pas. Je me rappelle que les copains avaient pris des photos sur les marches de la gare St Charles et c’était un acte militant parce qu’à l’époque, c’était pas évident.
Donc la 2eme UEH était en 81 mais avant l’UEH, on s’est toutes retrouvées à L’Euzières. Ça devait être début juillet 81. Car j’ai souvenir qu’on est passé de L’Euzières à l’UEH. C’était une époque ! L’Euzières, c’était extraordinaire ce lieu, c’était assez convivial et j’ai retrouvé des photos... Avant ça, j’étais parti en Afrique et je faisais un peu de mécanique auto et un peu moto et j’avais monté un petit atelier à L’Euzières, un petit atelier où on réparait des 4L, des 2 chevaux, c’était super... J’ai beaucoup aimé L’Euzières. Ça a pas dû être facile dans l’organisation, moi j’organisais pas du tout.
De là, nous sommes allées à l’UEH. Elle se passait à la salle St George, c’était artisanal. Rappelez vous qu’à l’époque, il n’y avait pas de portables, pas de mails... On tirait les tracts avec la Ronéo... C’était vraiment une époque artisanale mais une époque formidable dont je garde un souvenir...
Je me rappelle qu’avec Jacques, nous étions je ne sais plus où dans les quartiers nord et Jacques dit : "Il faut absolument qu’on aile à la salle St George et on n’a pas le temps". Et bien monte sur ma moto ! Il a eu la trouille de sa vie, une goudou qui l’emmenait sur sa moto, il hurlait... On riait, c’était drôle mais il fallait faire vite... C’était une période extraordinaire, cette deuxième UEH, c’était très bien. Est-ce qu’il y avait des nanas ? Oui, il y en avait. Ce n’était pas une Université avec une partie non mixte. Il y avait déjà des ateliers, des fêtes, des films, des vidéos... Ça durait pas tout à fait une semaine, 5 jours je crois...
Après, ça a été la grande époque de la Boulangerie ! La Boulangerie, ça a tout même été un moment mythique ! C’était une ancienne boulangerie...

Patrica G : Est-ce qu’historiquement, tu te souviens que la 2eme UEH était avant la Boulangerie ?

Non, La Boulangerie s’est ouverte en mai 81 ou en avril...

Patrica G : Car c’étaient les mêmes qui organisaient l’UEH et la Boulangerie.

Ah bien sûr ! C’étaient les militants de la Boulangerie qui l’organisait. À la Boulangerie, il y avait des militants et il y avait aussi des gens qui venaient boire un verre comme ici aux 3 G. C’était un lieu militant mais un lieu festif et moi ça me plaisait... Et je crois que les garçons étaient très contents qu’il y ait des femmes, c’était un enrichissement pour eux et pour nous aussi...
De 81 à 83, on animait une émission de radio sur une radio libre qui s’appelait Radio Soleil, et je ne souviens plus du nom de l’émission, le thème était "Cherchez le garçon". J’aurai dû dire "Oh ça va !" (rires) mais c’était convivial aussi, des gens téléphonaient pour témoigner, c’était bien écouté... Ce sont des radios qui n’existent plus...
C’était aussi l’époque d’Homophonies, on écrivait des articles dans Homophonies, c’était militant. On avait aussi un petit journal à la Boulangerie.

Patrica G : Homophonie, c’était le journal national ?

Oui, c’était le journal national qui était très bien fait.
En 83, l’UEH s’agrandit, on va à la fac d’architecture à Luminy, c’était dans une pinède. On était logés sur place, on avait beaucoup de salles, il y avait des ateliers de toutes sortes, il y avait du sport, du yoga, des chercheurs, des conférences... c’était très mélangé !
À ce moment là, il y a eu quelques tensions avec les lesbiennes et nous. Je précise tout de même sans polémique que c’était nous qui organisions l’UEH. Les structures, c’est nous qui les avions mis en place.
Ensuite il y a eu Lesbia. Il faudrait demander à Catherine M. ou Christiane J. la date précise de la naissance de Lesbia, mais à partir de 83, je deviens correspondante de Lesbia. Pour Lesbia, j’étais un petit peu parano et je me disais " Elles ont l’air sympa ces filles" mais on s’engueulait beaucoup à l’époque... et dès que je vais dire que je suis dans un truc mixte, je vais encore me faire traiter de tous les noms d’oiseaux et pas du tout ! Une nana très ouverte qui me dit "Mais chacun fait ce qu’il veut !".
J’étais tellement enthousiaste que quand elle m’a montré le journal, j’ai proposé de devenir correspondante Lesbia. Et j’ai toujours eu de très bons rapports avec Lesbia Magazine.

Patrica G : Être correspondante, ça voulait dire quoi ?

Déjà couvrir les UEH, couvrir les infos de la Boulangerie, parler de la vie homosexuelle à Marseille... On pouvait avoir une page si on voulait, il n’y avait pas de problèmes. Et j’ai fait quelques articles : sur la santé je ne souviens plus exactement... le sida sans doute... ça commençait... sur les lieux associatifs bien sûr... de la vie à Marseille. J’arrivai à faire un article à peu près tous les mois avec des infos sur ce qui se passait...
Il y avait la Douce-Amère à côté, c’est le gag quand même : La Boulangerie était rue de Bruys et la Douce-Amère était rue Benoît Malon à côté à 400m. On était pas en tensions mais c’était chacun chez soi...(rires) puisque la Douce-Amère était non mixte. Et d’ailleurs, une fois, elles se sont faits agressées par des gens à la porte. Qu’est-ce qu’elles ont fait, elles sont montées à la Boulangerie et je vois encore ce pauvre Nounours qui est mort malheureusement descendre en disant "Oooh, on va aider les filles..." (gestes efféminés) et il y avait plein de gays qui descendaient pour défendre les filles ! (rires) Comme quoi, il y avait de la solidarité : une dizaine sont descendus...
Ensuite en 85, c’est l’avant-dernière UEH, ça s’était beaucoup étoffé, surtout sur ce qui était recherche.
Il y avait Geneviève Pastre qui était venue et qui tout à fait pour la mixité...
Je parle beaucoup de la mixité car j’étais vraiment le mouton noir, hein, soyons honnête ! J’étais un des moutons noirs parce qu’après, il y a eu Andrée qui l’a été aussi.
J’étais un peu le mouton noir pas pour toutes les lesbiennes mais quand même pour pas mal, qu’est-ce que je foutais là-dedans...Et Geneviève Pastre a toujours défendu le fait de faire ce que l’on veut. Et moi, c’est ce que je revendiquais. Je disais que moi j’étais bien là et je n’étais pas du tout bi-sexuelle. Je revendiquais le droit de militer pour mon homosexualité dans un mouvement mixte, qui pour moi, est un peu l’ouverture, voilà...
Enfin, il y a eu la dernière UEH où j’étais en 87. Parce qu’après j’ai eu une période où j’ai un peu décroché. Ensuite il n’y a plus eu d’UEH pendant 10 ans, je crois...
En 88/89, on continue les émissions de radio, la Boulangerie marche bien mais ça commence la période du sida et là, pour nous, ça a été très, très dur ! Je ne sais pas si vous pouvez l’entendre mais beaucoup de copains ont été atteints. Mon grand copain Nounours... Patrick, qui était médecin, a été contaminé... Beaucoup se sont contaminés... c’est vrai qu’ils baisaient, je le dis entre guillemets, ils baisaient à couilles rabattues ! Ça c’est vrai ! Les mecs, ça y allait ! Mais bon, il n’y avait pas de problèmes, aucun problème... Et ils se sont contaminés à la vitesse grand V. Pas tous heureusement ! Mais mon copain Nounours a tenu 8 ans où on l’a beaucoup aidé, lui et son copain. Il n’y avait pas qu’eux, il y en avait d’autres à la Boulangerie, au moins une quinzaine... dont certains étaient militants qu’on connaissait bien. On les a pas lâchés, ça, on les a suivis jusqu’au bout... Beaucoup de copains et aussi de copines étaient là : Agnès, Chantal, Nathalie... Ça a été très dur pour nous : Nounours est mort en 95, son copain en 96 ! Mais c’était l’horreur, c’était vraiment l’horreur...

Patrica G : Tu n’as pas fait partie d’Act-Up ?

Non, je n’ai pas fait partie d’Act-Up. J’ai été un petit peu à Sida Info Services... Je ne suis pas allée à Act-Up mais je crois que c’est même pas parce que je n’étais pas d’accord avec leurs actions, c’est qu’à ce moment là, en 94, j’étais infirmière à l’hôpital Ste Marguerite et je suis rentrée dans le service des maladies infectieuse et là, c’était vraiment que des sidas... Donc on passait notre temps en réunion, c’était pas du militantisme amis c’était quand même de l’aide... On était en contact avec Sida Info Services, avec Act-Up... de très bonnes relations d’ailleurs... On allait dans les manifs... biensûr ! Toutes les manifs d’Act-Up et dans les GayPrides, on était aussi avec les militants. Je n’ai pas fait partie d’Act-Up mais c’est pas un refus.
Dans ma vie, j’ai toujours milité c’est vrai mais j’ai un peu du mal à penser comme un certain que je ne nommerai pas qui a commencé à 18 ans et qui à 80 ans sera encore dans le militantisme homosexuel, bon, pourquoi pas... (rires) mais moi je considère qu’il y a un temps pour tout et je me suis beaucoup investie dans le mouvement homo, j’ai dû militer dans le mouvement 10/12 ans, voilà...
Après eh bien je me suis arrêtée et je suis passée à autre chose. Pas tout à fait, car à ce moment là, sans doute par la Boulangerie, j’ai rencontré le président de l’AMA et on a parlé motos car je suis motarde depuis toujours. Je suis donc rentrée à l’AMA qui veut dire Association de Motards Alternatifs, ce qui ne veut rien dire mais à l’époque, on ne pouvait pas dire qu’on était gay. C’était l’époque ! Car ça a été créé bien avant en 78/79... donc il fallait pas trop dire qu’on était gay. C’était l’AMA et c’est resté l’AMA. Et je rentre dans une jungle, une véritable jungle... il n’y avait que des mecs et il y avait une nana... mais cette nana n’avait pas de moto. Et moi, j’étais pas d’accord parce que je considérais qu’il fallait avoir une moto parce que c’était un club de motards.
Alors il y avait beaucoup de mecs qui montés derrière les motos de leur petit copain et il y avait une nana qui était un peu l’égérie, elle était goudou, elle n’avait pas de moto et la première chose que j’ai fait, c’est de dire : "Dehors !". Oui, c’est gros mais c’est un club de moto et si tu veux avoir ta place, tu as une moto... J’étais dans un milieu très hostile qui n’avait jamais vu de nanas ou presque. Il y en avait qui étaient très contents car ils en avaient marre de voir que des mecs. Régis, le président m’a énormément soutenu, lui, il trouvait ça très bien. Il a fallu que je ferraille d’abord parce que pour que les nanas rentrent il fallait qu’elles aient le permis même 125ch éventuellement. Pas de nanas... Petit à petit, il y en a qui sont venues...
Dans l’AMA, il y avait de sections : Toulouse, Lyon, Perpignan, Montpellier... Et mon esprit militant adit : "Il ne faut pas s’arreter là ! Il faut qu’on soit en lien avec la Fédération des Motards en colère qui ont des revendications et aussi avec les homosexuels... Régis était entièrement d’accord donc on a ouvert beaucoup de GayPrides, dont celles de Marseille avec nos motos. Et aux AG, on a commencé à voter pour moi. J’étais bien contente ! Et je suis devenue présidente de l’AMA ! Je suis pas restée très longtemps mais c’était bien ! En tout, j’y suis restée environ 10 ans.

Patrica G : Est-ce qu’ensuite il y a eu un peu plus de motardes ?

Oui, il y a eu une délégation très importante à Toulouse. Parce que du fait qu’il y a eu quelques nanas, les copains disaient aux filles : Venez ! Les seules conditions, c’est avidement d’être homosexuelle et d’avoir une moto, ça paraissait logique !
L’AMA existe toujours, ce n’est plus Régis qui est président. Ça a été très important pour moi, on voyageait, on faisait plein de trucs très sympas, c’était très bien...
Une anecdote très rigolote, c’est la première fois qu’on a rencontré la Fédération des Motards en colère. Je crois qu’on appréhendait, ils appréhendaient. Pas les nanas, mais les mecs... les mecs s’imaginaient que les gays avaient des plumes au cul en conduisant les motos... les gays avaient peur d’être agressés... Et en fait, ça a été d’une convivialité extraordinaire ! Un mec qui est en moto, il a un casque, il a des gants, il a l’air viril et pour eux, c’était vraiment très bien. Il n’y a pas eu de problème et c’était vachement important, c’est une ouverture pour moi. À la fois, on est motard, on est homosexuel donc proche du mouvement homosexuel et on est aussi en accord avec les revendications de la Fédération des Motards en colère.
Bon mais je n’ai pas fait que militer ! Il y avait le côté festif et le côté festif, c’est fait beaucoup chez moi. J’avais un cabanon à La Cadière. J’ai regardé les photos, j’ai calculé, j’ai compté le nombre de personnes, il y a eu des fois où on était plus de cinquante. On a fait des fêtes la nuit, le jour, on a fait des aïolis, on a fait des trucs très conviviaux et dans la mixité d’ailleurs. Et ça se passait très bien, il n’y a jamais eu une agression... jamais ! Il y a peut-être eu des petites tensions mais pas plus que ça...
Les moments forts pour moi, ça a été l’organisation des UEH, les premières GayPrides aussi, c’était pas évident en 94/95. Ça pour moi, c’étaient des moments forts, parce que là on a senti que quelque chose se passait.
L’organisation des UEH, c’était un boulot de folie mais en même temps, très riche. Des souvenirs de ces années là !!! Christian D., Jacques F., Jacques G., Theresa, chez Marc B.... Et les souvenirs de fêtes, les fêtes au cabanon... Puis mon travail à l’hôpital... en même temps, j’ai milité au sein de la CGT et je ne le regrette pas car c’était vraiment le syndicat qu’il me fallait à l’Hôpital sur les conditions de travail et j’ai trouvé là aussi beaucoup de richesse.
Et quant à mon homosexualité, pas de problèmes car malheureusement, il y avait eu le sida et tout le monde s’était révélé et il y avait beaucoup de gays dans les services.

Depuis 4 ans, j’habite dans les Alpes de Haute Provence, je vis dans un petit village, je suis très contente d’être là. C’est très joli...
Au niveau militant, on a monté une liste d’opposition au maire. Ils n’ont pas voulu de moi parce que je suis trop à gauche. Mais j’organise le comité de soutien pour le changement de mairie. C’est un village de 600 habitants. Ce n’est pas une liste de gauche mais ils ont refusés l’extrême droite.
J’assiste aux réunions du front de Gauche à Forcalquier. Pour l’instant, j’assiste aux réunions et aux débats mais ça peut venir, petit à petit... je me donne le temps, je suis à la retraite... Et je continue à faire tout ce qui est festif et loisirs...(rires)

Documents contenus dans le témoignage
MLAC Le Torchon brûle La Boulangerie Gay La Boulangerie Gay GLH Université d'été homosexuelle 1979 Cineffable
L'Euzières - Atelier de mécanique Christian De Leusse homphonies n9 UEH 1983 Lesbia Magazine Geneviève Pastre  
T-shirt Act Up AMA Le cabanon à La Cadière Aïoli Repas chez Odile Repas UEH